Le porte-greffe Flying Dragon pour les agrumes

Le terme nanifiant s'applique aux porte greffes diminuant de 75% le volume des arbres et dont la hauteur n'excède pas 2,5 m à l'âge adulte. L'un de ceux-ci est Poncirus trifoliata cv. " Flying Dragon ".

Les premiers essais ont été réalisés en 1972 en Californie à South Coast Field Station. Des plants d'orangers Valencia Late âgés de 14 ans et greffés sur ce porte-greffe ont une hauteur de 1,9 m et un diamètre de la frondaison de 1,8 m pour un rendement moyen par arbre de 33 kg.

La qualité des fruits est bonne. Testé en Floride en comparaison avec la mandarine Cléopâtre, ce porte-greffe induit une réduction du volume de la frondaison du Tangelo Minneola de 30%.

Le Flying Dragon est originaire du Japon et y est utilisé pour la production de plants d'ornement en pot. Il a été introduit aux USA en 1915 par Walter S. Swingle où il est longtemps resté à l'état de curiosité botanique jusqu'au moment où les considérations économiques ont incité les chercheurs à se tourner vers les porte-greffe nanifiants comme moyen d'augmenter les densités de plantation et par là les rendements. 

Comme les Poncirus trifoliata dont il serait une mutation, il présente les caractéristiques de tolérance au virus de la Tristeza, de résistance aux Phytophthora spp., aux nématodes des agrumes ainsi qu'une bonne tolérance aux sols lourds. Il induit également une bonne qualité de fruit.Son emploi requiert l'utilisation de greffons indemnes d'exocortis, maladie de dégénérescence à laquelle les Poncirus et leurs hybrides sont très sensibles. Ces références ont servis à définir le protocole de l'essai mis en place au mois de décembre 1992, sur la station de Pocquereux a partir de semences introduites des établissements Willits et Newcomb (USA) en 1990.

Le Climat

Le climat de l'archipel se caractérise par la transition entre le climat tropical et le climat méditerranéen dans la mesure où il est influencé une partie de l'année par la Zone de Convergence Intertropicale (ZCIT) et l'autre par des dépressions tempérées :

• de mi-décembre à mi-avril, grande saison humide et chaude, c'est la saison des dépressions tropicales et des cyclones,
• de mi-avril à mi-mai, petite saison sèche durant laquelle pluviosité et température décroissent du fait de la remontée vers le nord de la ZCIT,
• de mi-mai à mi-septembre, saison fraîche pouvant être pluvieuse par la remontée de fronts froids d'origine polaire donnant des dépressions tempérées,
• de mi-septembre à mi-décembre, grande saison sèche au cours de laquelle les températures augmentent, la ZCIT amorce sa descente vers le sud.

Températures, hygrométrie, évaporation et précipitations :

L'étude des températures est déterminante dès que l'on s'intéresse au comportement des agrumes. Elle définit la qualité interne et externe des fruits obtenus, et en particulier leur coloration. Les températures du poste météorologique de La Foa sont très contrastées. La moyenne annuelle est de 22,5°C, avec une moyenne des maxima de 28,5°C et une moyenne des minima de 16,4°C (1956-1991).

Les températures ne sont pas celles observées sous climat tropical. Les minima sont assez bas malgré la faible élévation, la position géographique et l'insularité. Elles montrent, par leur variation, qu'elles sont intermédiaires entre le climat tropical et le climat méditerranéen. L'hygrométrie moyenne varie de 40 à 96%. L'évapotranspiration potentielle est de 1 463 mm avec un minimum de 65 mm en juin et un maximum de 177 mm durant le mois de décembre. La moyenne annuelle de la pluviométrie est de 1 155 mm. Elle se caractérise par une variation très importante : 610 mm observés en 1967 et 2 292 mm en 1973. Les précipitations sont groupées sur 84 journées. L'irrigation est indispensable du fait d'une répartition annuelle insuffisante.

Le sol

Les arbres en essai sont implantés sur une parcelle de piémont de collines. La texture de ces sols est lourde (argile limono-sableuse), la part d'argile+limon est de 66%. Ces sols sont moyennement pourvus en matière organique (2%), très riche en magnésium mais très pauvre en potassium et en calcium , et ne contiennent pas de sodium. Le pH est de 5,6.

Avant sa mise en valeur, la parcelle choisie qui est plane, était en forêt sèche composée de niaouli (Melaleuca quinquenervia). Après un défrichage au bulldozer, le sol a été fortement amendé (6 Uha de croûtes calcaires dosant 48% de CaO). La fumure de fond est constituée d'un apport de 2 Uha de 0-32-16. Le sol a été sous-salé à une profondeur de 1 m (3 dents distantes de 1 m). Le labour a été réalisé à une profondeur de 45 cm avec une charrue à socs. Enfin, des ados de plantation ont été aménagés par des passages répétés de la charrue à socs sur le rang de plantation. Les doubles rangs d'arbres sont plantés sur ces ados de 4 m de largeur et de 80 cm de hauteur dans l'axe central. Le sol est abondamment paillé (10 cm) chaque année au mois d'août au moyen de bottes de Rhodes Grass (Chloris gayana) réalisées sur une parcelle aménagée spécialement sur la station.

Irrigation :

Les arbres sont irrigués par micro aspersion au moyen d'un micro jet (360°, 36 l.h-1) desservant 4 arbres. Selon les années, l'irrigation est nécessaire de 5 à 9 mois. La dose apportée est de 0,75 ETP.

Fetilisation :

La fertilisation du verger se fait sur la base de 3 apports annuels répartis de la façon suivante :

• 50% des apports un mois avant la floraison (juillet),
• 25% des apports deux mois après (septembre),
• 25% des apports quatre mois après (novembre).

Les quantités annuelles apportées pour des arbres de 5 ans sont de 1500 g d'urée et 2500 g de 13-13-21.

L'essai planté en décembre 1992 comprend 8 variétés greffées sur Flying Dragon (8 traitements) :

• Citronnier Lisbonne (Citrus limon (L.) Burm. f.) SRA 16,
• Limettier de Tahiti (C. latifolia Tan.) SRA58,
• Oranger Washington Navel (C. sinensis (L.) Osb.) SR 203,
• Oranger Valencia Late (C. sinensis (L.) SRA 105,
• Mandarinier satsuma Saint Jean (C. unshiu Marc.) SRA 108,
• Pomelo Star Ruby (C. paradisi Macf.) SRA 293,
• Tangor Ortanique (C. reticulata Blanco x C. sinensis (L.) Osb.) SRA 110,
• Tangelo Orlando (C. reticulata Blanco x C. paradisi Macf.) SRA 46.

La croissance des arbres a été lente pendant les deux premières années (figure 1). A cinq ans, l'effet nanifiant est nettement constaté pour les huit variétés testées. L'étude du volume des arbres permet de le mesurer avec précision (figure 2). Les variétés Tangelo Orlando et orange Valencia late sur Flying Dragon ont une réduction de leur encombrement de 16 et 11 fois par rapport aux témoins.

Cette réduction est de 6 fois pour le Pomelo Star Ruby, le Tangor Ortanique, la Washington Navel et de 4 fois pour la lime Tahiti, la Satsuma St-Jean et le citron Lisbonne (tableau 1). La plantation en rang jumelé n'est pas la technique la plus appropriée car les interventions ne peuvent être mécanisées dans l'interrang (désherbage par exemple). Les mesures réalisées permettent de définir des densités de plantation spécifiques aux variétés choisies (tableau 2).

Les premières récoltes ont été pesées dès la deuxième année après plantation. Les récoltes cumulées à 5 ans figurent dans le tableau 3. Après 5 ans le ratio entre le cumul de fruits récoltés par arbre greffé sur Flying Dragon et les témoins varie de 0,4 à 1,1. Flying Dragon induit une production précoce de fruits qui compense la réduction de développement des arbres.

En ramenant ces valeurs de rendements aux densités de plantation de 1000 plants à l'hectare pour Flying Dragon et 208 plants à l'hectare pour les témoins on obtient les valeurs du tableau 4. Ainsi la production cumulée 5 ans après plantation, ramenée à la surface plantée est de 2 à 5,7 fois plus importante pour les associations sur Flying Dragon.

Une autre évaluation de l'efficacité des porte-greffe est la mesure de la production de fruits par unité de volume de frondaison (tableau 5).

Pour les variétés greffées sur Flying Dragon la production par unité de surface varie de 2,5 à 9,8 kg.m^-3. Elle varie de 0,8 à 2,3 kg.m^-3 pour les témoins. Les associations sur Flying Dragon sont de 1,4 à 5,8 fois plus productives que celles qui concernent les témoins, C. volkameriana et Citrange Troyer.

L'objectif de l'expérimentation étant la rentabilité d'un nouveau porte-greffe, la comparaison des coûts entre verger à haute densité (1000 plants/ha) et verger traditionnel (208 plants/ha) a été réalisée.

Implantation du verger piéton :

Les coûts de préparation de sol (fumure de fond et travail du sol) restent les mêmes quelle que soit la densité de plantation choisie. Les charges directement proportionnelles ne concernent donc que les travaux de piquetage et de plantation de la parcelle (1 F.CFP. = 0,055 F.F). D'autre part, les frais de mise en place du réseau d'irrigation n'augmentent que de 1,1 fois compte tenu de la modification effectuée sur le réseau avec un micro-jet pour quatre arbres (figure 3a et 3b, tableau 6). Le coût de mise en place d'un verger piéton est 2, 1 fois plus élevé que celui d'un verger conventionnel, alors que sa densité est 5 fois plus importante.

Entretien du verger piéton :

Les composantes du coût d'entretiendu verger greffé sur Flying Dragon qui n'augmentent pas de manière proportionnelle à la densité sont :

• l'entretien et le désherbage de la parcelle (même nombre d'allées qu'à densité usuelle),
• la taille avec 144 556 F.CFP. pour le verger piéton et 117 450 F.CFP. pour le verger conventionnel (x 1,2),
• la protection phytosanitaire, car la difficulté à traiter correctement les parties aériennes d'une parcelle de densité usuelle est compensée par la taille réduite des arbres du verger piéton pour un même nombre d'allées, d'où un volume de bouillie sensiblement constant.

Par contre, la fertilisation (x 6,1) et la récolte (x 4,5) sont les deux composantes du coût d'entretien qui augmentent de manière significative, mais non proportionnelle (observations sur cinq ans). Les coûts cumulés d'entretien pendant cinq ans d'un verger piéton sont 1,6 fois plus élevés qu'un verger normal (tableau 6, figure 3a, figure 3b).

Le coût total de mise en place et d'entretien pendant cinq ans d'un verger haute densité est 1,8 fois plus élevé que celui d'un verger conventionnel pour une densité de plants 5 fois supérieure, (tableau 6, figure 3a, figure 3b). 

Le rendement cumulé obtenu sur Flying Dragon depuis cinq ans concernant la lime Tahiti est de 94 t/ha (1,5 kg, 7,4 kg, 40,4 kg et 45,7 kg par pied en années 2, 3, 4 et 5) contre 20,8 t/ha sur C. vo/kameriana (9 kg, 37 kg et 54 kg par pied en années 3, 4 et 5).

Après cinq ans d'exploitation, le cumul des charges est 1,8 fois plus élevé, alors que le montant des produits est 4,5 fois plus important pour le verger piéton par rapport au verger conventionnel. La marge brute cumulée est 9 fois plus importante pour le verger haute densité (tableau 7).

L'évolution des marges brutes (figure 4) montre que le seuil de rentabilité est atteint dès la quatrième année d'exploitation pour l'association Lime Tahiti / Flying Dragon (prix :noyen de vente de 196 F/kg, source l.T.S.E.E.). Cette estimation brute ne concerne que les coûts directs de la parcelle. Ils doivent être intégrés dans les structures d'exploitation au cas par cas.

Quelle que soit la zone de production,les conditions de marché placent les producteurs d'agrumes dans une situation qui les contraint à améliorer constamment leur productivité tout en réduisant leurs coûts. Sous climat tropical la vigueur des arbres est importante et constitue un sérieux handicap pour la ,conduite des vergers industriels pour les raisons suivantes :

• obligation de planter à faible densité (150 à 200 plants/ha),
• mauvais contrôle des ravageurs et maladies lié au volume important de l'arbre à traiter,
• difficulté à récolter la totalité des fruits, surtout quand la récolte ne peut être assistée mécaniquement.

L'utilisation de porte-greffe nanifiant, tout en satisfaisant aux exigences sanitaires, peut être une alternative prometteuse puisqu'elle permet d'améliorer :

• le rendement,
• la quantité de fruits récoltés par unité de surface,
• l'efficacité des interventions,
• le rendement de la main d'œuvre.

L'emploi comme porte-greffe du Poncirus trifoliata cv. Flying Dragon permet la plantation de 800 à 1400 arbres/ha. La mise en place de vergers "piétons" où les interventions sont facilitées tout en assurant une entrée en production précoce permet d'amortir rapidement les frais d'installation et d'entretien. Les observations futures permettront d'évaluer la longévité de ces arbres ainsi que l'effet de ce porte-greffe sur la qualité des fruits en fonction de l'âge (calibre, % de jus, acidité, Brix).