Quelques fondements de la culture kanak
Quelques fondements de la culture kanak
Les populations kanak ont une organisation sociale, un lien à la terre, une relation à la nature et des pratiques coutumières qui tendent à rechercher en permanence l'équilibre et l’harmonie.
La grande case, symbole des relations sociales
La grande case Kanak centralise le pouvoir du clan, de la tribu ou de la grande chefferie. C’est un espace sacré dans lequel on entre en se courbant en signe de respect.
La forme architecturale de la case symbolise l'organisation sociale :
- Le poteau central correspond au chef ou à l’ainé : il assure le lien au monde des ancêtres qui le conseillent pour orienter la vie de la tribu.
- Les poteaux externes représentent les clans.
- La forme en cercle signifie l’harmonie et l’égalité des échanges.
- La flèche faitière, les chevrons, la paille, les lianes qui unissent le tout représentent les individus et tout ce qui unit la société.
- La flèche faitière, au sommet de la case, alignée dans le prolongement du poteau central, représente l’ancêtre et symbolise le clan.
- La conque positionnée dans la partie supérieure symbolise la voix de l’ainé et l’appel des clans.
La terre, source de vie et d'identité
Dans la représentation kanak, la terre est pensée comme source de vie. Elle est la « terre mère », la « mère nature ». C’est pourquoi les Kanak considèrent qu'ils appartiennent à la terre et lui vouent un très grand respect.
Pour Jean-Marie Tjibaou, l’homme est un produit de la terre : « Nous ne sommes pas des hommes d’ailleurs. Nous sommes des hommes sortis de cette terre ». Dans l’esprit des Kanak, la terre a enfanté le premier couple, le premier homme et la première nourriture. L’homme est uniquement un élément du monde, au même titre que les végétaux ou les animaux.
L’igname outre sa valeur alimentaire a une forte valeur symbolique. Il représente l’homme alors que le taro, considéré comme une culture humide, correspond à la femme. L’igname joue un véritable rôle social. Ils sont échangés entre les familles à l’occasion des mariages et des deuils (l’igname meurt en son extrémité, mais que la tête donne des germes et que la vie ainsi continue).
Un mythe fondateur pour expliquer le monde et les généalogies
La société kanak est construite à partir du mythe fondateur. Celui-ci qui raconte l'origine de l'homme kanak qu'il positionne comme un simple élément de la nature dans un ensemble en perpétuel mouvement. Le mythe fondateur définit également l'organisation sociale, le système des alliances et de relations entre les clans et les hommes. Les alliances peuvent être permanentes ou occasionnelles. Tout découle du mythe. Plusieurs mythes sont racontés par plusieurs narrateurs qui coexistent et se complètent ou non.
La narration des contes permet aux clans de la chefferie de mettre en scène leurs différentes fonctions. Celles-ci sont exprimées par des symboles et des références spatiales. Les fondateurs sont les premiers occupants du pays. Ils installèrent progressivement d'autres groupes.
Chaque nouveau venu conserve les liens afférents à son espace d'origine. Il fait valoir à travers les contes la spécificité de ses relations (ou chemins) et le bénéfice que le groupe social peut en tirer.
Chaque conte ou série de contes vient donc proclamer les pouvoirs et les rôles de chaque clan et de la chefferie.
Juxtaposés, les contes composent une symphonie où chaque clan joue sa propre partition tout en tentant de s'unir dans un jeu de complémentarité.
Les trois principales dimensions du mythe
Le mythe fondateur compte plusieurs dimensions :
- philosophique
- politique
- morale et normative
Dimension philosophique
Le mythe fondateur propose une explication du monde, du cosmos, de la nature, des plantes, des animaux, de l'homme et de ses origines.
La vie y est en perpétuel mouvement. Un individu est à la fois lui-même et un autre, voire plusieurs autres. Pour communiquer, il utilise une langue qui véhicule de multiples concepts, parfois précis, parfois flous. La parole est sacrée et permet à chaque membre de la société de connaître sa place et celle de son clan.
Le monde invisible comprend les ancêtres défunts et les êtres surnaturels (génies). Il est omniprésent dans le monde des vivants.
L'homme se détermine par rapport au soleil, à la lune, au cosmos. Il est un membre de la nature. Les animaux, les arbres, les rochers sont des éléments de la nature, mais aussi des totems, c'est-à-dire les supports matériels du monde invisible.
Les Kanak ont une vision du cosmos, un rapport à l’espace, une organisation sociale et une pratique coutumière qui tendent à une recherche permanente d’équilibre et d’harmonie.
Au départ l'homme était un lézard qui vivait dans l'eau. Au fil des millénaires, il a subi plusieurs transformations dues aux bouleversements climatiques et naturels.
Les savoirs traditionnels et les connaissances associées des plantes sont le patrimoine matériel et immatériel du peuple kanak, car ils sont le fruit d'une histoire et d'une civilisation communes. Chaque clan en est le dépositaire, suivant un héritage transmis de génération en génération.
Dimension politique
Les hiérarchies se font et se défont au gré des alliances, des déplacements de clans et des références à des événements et personnages cités dans le mythe.
L'organisation sociale et politique est un système ouvert qui permet au dernier arrivé de s'intégrer dans la société existante et d'en devenir le poteau central, c'est-à-dire le chef de la communauté vivant sur cet espace.
Le mythe fondateur raconte la généalogie des familles, le lien aux espaces et l'hospitalité exercée à maintes reprises.
Dimension morale et normative
Le mythe fondateur édicte le système de valeurs et de normes que chaque individu doit appliquer et respecter concernant :
- L'accueil ;
- Le partage avec les autres ;
- Le don de ce que l'on a ;
- Les tabous et règles. Ceux-ci fixent le cadre d'une bonne conduite en société. L'individu qui enfreint une règle sera, à défaut d'une sanction physique, sanctionné par les esprits.
Exemple d'organisation sociale dans l'ère Paicî
L’organisation sociale dans l’aire Paicî est fondée sur les relations généalogiques.
Chaque personne, famille, lignage est rattachée à l'un des onze actuels clans Paicî, eux-mêmes issus des ancêtres-fils du premier homme. Ces clans sont partagés en deux moitiés, les Dui et Bai, fondées par deux ancêtres frères. Il existe un dualisme matrimonial qui ouvre en principe à toute personne d'un clan Dui l’accès à une personne de sexe opposé d'un clan Bai, et réciproquement.
Voici le mythe fondateur raconté dans l'aire Paicî (Koné, Pouembout, Poya Nord, côte ouest).
Cette histoire a été recueillie à Ouaté (Poya) en langue paicî [1] auprès du grand érudit Téâ Emmanuel Naouna en 1973 par Alban Bensa et Jean-Claude Rivière dans le cadre d'une mission de recherche patronnée par le CNRS. Ce début de texte a été transcrit et traduit avec la collaboration d'Antoine Goromido à Netchaot (Koné) :
« Quand l'eau commence à descendre, un sommet apparaît. Il porte le nom de Näécõpë, c'est le rocher Tâibërënê (bancoule du soir).
Le lézard nage et cherche à attraper le caillou. Il le manque par 3 fois à cause des vagues. Au 3e essai il parvient à s'accrocher au rocher. Et ce n'est plus un lézard. C'est un génie. On l'appelle Bwëé Awa. C'est ainsi que quelques saisons plus tard, il lui nait un fils appelé Téâ Känäké.
Ensuite Téâ Känäké descend du sommet nommé Cëuma. En langue paicî, ce sommet est appelé Näwârâaéré (dans la maison du brouillard) et Näwârâu (dans la maison des génies). Il descend de là et s’installe dans un endroit appelé Goroö (au poteau central). Alors il engendre deux fils, l’un appelé Bwëé Beèlo, l’autre Dui Daulo.
Ils descendent de Goroö et s’installent à Au(w)aci. Ils engendrent alors 6 fils. Trois pour Bwëé Béèlo et trois pour Dui Daulo. On les appelle les Téâ :
- L'aîné de Bwëé Béèlo porte le nom de Téâ Paamâ ; le suivant s'appelle Téâ Cöömäri et celui qui vient ensuite Téâ Bwaawa.
- L'aîné de Dui Daulo est Téâ Eèdëu, le suivant Téâ Itibu, le dernier Dui Pwrùrùdua.
À l'endroit que l'on appelle Au(w)acî (là où on fait griller), Dui Daulo grille l'igname. Quand elle est cuite, il la gratte et la poussière arrive sur son ainé Bwëé Béèlo. Celui-ci alors : "tu grattes sur moi la poussière de grillade et tu ne sais pas que je suis ton frère aîné. Alors nous allons partager nos lignages".
Ils déroulent la monnaie de coquillage (âdi) pour chacun des fils, mais ils en oublient un dans leur partage.
Dui Pwrùrùdua n'a pas de part pour lui. Il se fâche et descend dans un endroit appelé Göröpwéètü. Il descend sur le rocher Nätöö. Il s'installe et on l'appelle Dui Nätöö.
Téâ Cöömäri et Téâ Bwaawa restent à Göröwârâtua et Göröacaiu.
Téâ Paamâ descend et s'installe à Buèi et Göröripôrôwâ, Göwipaa et Atüpupwiâ et Näaucùùwèè. Il pose tous les lignages de l'ensemble Bai".
Soutiens à la réalisation de cette fiche
L'Institut agronomique néo-calédonien (IAC) a été lauréat du "Fonds de sauvegarde du patrimoine immatériel des pays et territoires d'outremer (PTOM)" en mars 2022 pour intégrer dans Agripedia des fiches sur les plantes médicinales de la pharmacopée calédonienne.
Cette fiche a été réalisée grâce au soutien moral et financier de l'Union européenne, de l'Institut français, de l'OCTA et de l'ACPA dans la cadre du projet pilote ARCHIPEL.EU.
Cette fiche a été également réalisée grâce au soutien scientifique, technique et financier de l'IAC, l'ADCK-Centre Tjibaou, l'IRD, l'Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie et Lincks.
Sources
- Naouna E., Gorommino A. Mwà Véé, revue culturelle kanak, N°35, 2002. L'origine du monde et des hommes p 8-10
- Bensa A., Rivière J-C. L'Homme 106-107 avr-sept 1988, XXVIII. De l'histoire des mythes. Narrations et polémiques autour du rocher Até (Nouvelle-Calédonie) p 263-295.
- Wikipedia. Socle des valeurs communes du peuple kanak : https://fr.wikipedia.org/wiki/Socle_commun_des_valeurs_kanak
Auteurs
Publié le 29 mars 2023
Rédaction
- Estelle Bonnet-Vidal (Lincks)