Après dix ans de recherche et développement menés par l’institut agronomique néo-calédonien (IAC), le vaccin contre la tique du bétail est opérationnel ! Pour Thomas Hüe, le vétérinaire-chercheur qui a piloté avec brio ce programme, les résultats des derniers essais à grande échelle sont parfaitement concluants. Les acteurs de la filière bovine ont désormais toutes les cartes en main pour déployer la vaccination dans tous les élevages et réduire le recours aux pesticides.
Le 22.03.2021 I Par Estelle Bonnet-Vidal
La tique du bétail est le problème sanitaire majeur des élevages calédoniens. Elle a été introduite fortuitement en 1942 lors du passage de l’armée américaine sur le sol calédonien. Elle s’est rapidement répandue dans les élevages bovins et a causé de lourdes pertes. Pour un éleveur, le préjudice peut s’élever jusqu’à 1,5 million de francs par an. La lutte contre ce redoutable parasite a été efficace pendant près de 70 ans grâce aux acaricides1 chimiques.
Les tiques entrent en résistance
Aujourd’hui, ces acaricides ont perdu en efficacité, car les tiques développent des résistances aux molécules chimiques. « Les politiques publiques et les éleveurs modifient progressivement leurs stratégies de lutte pour intégrer des méthodes alternatives, durables, plus respectueuses de l'environnement et de la santé » explique Thomas Hüe. C’est dans ce contexte que l’IAC a lancé en 2011, un programme de recherche consacré à la mise au point d’un vaccin contre la tique.
L’adaptation d’un vaccin australien
« Le vaccin que nous avons développé est une adaptation d’un vaccin australien qui a fait ses preuves. Le nôtre concentre une protéine présente dans le tube digestif de la tique locale, la protéine dénommée Bm86. Lorsqu’on injecte cette protéine dans un bovin, il fabrique sa propre immunité en produisant une grande quantité d’anticorps anti-Bm86. Si une tique se nourrit du sang d’un animal vacciné, elle ingère inopinément des anticorps qui vont immédiatement lui provoquer des hémorragies internes. Cela affecte lourdement les capacités de la tique à se reproduire et se nourrir » ajoute Thomas Hüe.
Des élevages pilotes
Depuis septembre 2018, l’IAC a vacciné 1400 bovins répartis dans 9 exploitations dans le cadre de la phase test à grande échelle. « Nous avons constaté que, dans ces élevages, les traitements chimiques avaient diminué de 40 %. Les tiques pondent beaucoup moins d’œufs et les pâturages s’assainissent progressivement. »
Un rappel tous les six mois
D’après les essais menés par l’IAC, la vaccination est efficace lorsqu’on pratique deux premières injections à un mois d’intervalle, puis un rappel tous les six mois. L’éleveur constatera une baisse du parasitisme au bout d’un an à un an et demi.
« Il est tout à fait envisageable de réduire considérablement l’infestation des pâturages si les éleveurs mettent en place une stratégie rigoureuse et longue durée. Il s’agit de vacciner les troupeaux deux fois par an et d’intégrer, en parallèle, plusieurs méthodes préventives » précise Thomas Hüe.
Une combinaison de pratiques durables
Pour le vétérinaire de l’IAC « Le vaccin ne sera pas la solution miracle ». C’est une solution à intégrer dans une stratégie plus globale. La vaccination permettra de maintenir sur le territoire les races bouchères très appréciées mais sensibles à la tique, comme la Charolaise et la Limousine. « Les éleveurs doivent aussi mettre en place la gestion intelligente de leurs pâturages où la conduite des troupeaux se cale en fonction de l’infestation des runs et de la qualité fourragère du pâturage. C’est un protocole que nous avons mis au point et qui rencontre un certain succès. C’est la combinaison de toutes ces pratiques durables qui réduit considérablement l’usage des pesticides » poursuit le vétérinaire.
Une réussite collective
« L’équipe de parasitologie de l’IAC a fait un travail exceptionnel » commente Laurent L’Huillier, directeur de l’IAC. « Il faut beaucoup de ténacité, de rigueur et de diplomatie pour mener sur dix ans de telles recherches ! La réussite de ce programme est à partager avec les nombreux partenaires qui y ont contribué comme la DAVAR, la province Sud, la Chambre d’Agriculture, l’Agence rurale et les éleveurs des exploitations pilotes. Nous espérons maintenant un déploiement très large de la vaccination. Mais ce n’est plus de notre ressort désormais. »
1 La tique est un acarien. Les acaricides éliminent les acariens