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La médecine traditionnelle kanak

La médecine traditionnelle kanak

 

La médecine traditionnelle kanak

Cette fiche présente quelques notions de base de la médecine traditionnelle kanak.

La médecine traditionnelle kanak
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    Définitions

    Selon l'OMS (organisme mondial de la santé), la médecine traditionnelle « se rapporte aux pratiques, méthodes, savoirs et croyances qui impliquent l’usage à des fins médicales de plantes, de parties d’animaux et de minéraux, de thérapies spirituelles, de techniques et d’exercices manuels – séparément ou en association – pour soigner, diagnostiquer et prévenir les maladies ou préserver la santé ».

    La médecine traditionnelle kanak est millénaire. Bien qu’elle soit aujourd’hui métissée avec les savoirs d’autres cultures présentes en Nouvelle-Calédonie (européenne, asiatique, wallisienne…), elle s’articule autour de deux grands piliers :

    • Les pratiques médicinales familiales ou "petite médecine" qui traitent les petites pathologies de tous les jours ou aident à se maintenir en forme. Ces savoirs sont collectifs et partagés.
    • Les pratiques médicinales liées au maintien de l’ordre social et spirituel ou "grande médecine" Elles font intervenir le surnaturel et les ancêtres. Elles accompagnent certains grands moments de la vie (naissance, mariage, mort) et soignent les états maladifs longs qui, dans la culture kanak, traduisent des ruptures d’équilibre.  Les remèdes et rituels sont détenus par des êtres spéciaux (les guérisseurs et les voyants) et sont secrets.

    Les grandes étapes de la vie

    La vie d'un homme ou d'une femme kanak est marquée par 5 grandes étapes, les stades initiatiques, et 5 passages d'un stade à l'autre. Les passages se font à l'aide de rituels et remèdes :

    • Stade initiatique 1 : la vie dans le ventre maternel
    • Stade initiatique 2 : l'accouchement
    • Stade initiatique 3 : le sevrage
    • Stade initiatique 4 : la puberté
    • Stade initiatique 5 : le monde adulte

    La tradi-médecine familiale

    Il existe une multitude de pratiques médicinales et un grand nombre de remèdes, propres à chaque famille, aux soins à prodiguer et aux diverses configurations locales (plantes disponibles, habitudes, métissages…).

    De manière générale, ces remèdes et préparations :

    • traitent les petites pathologies quotidiennes : toux, nausées, rougeurs, douleurs…
    • sont préparés avec une ou plusieurs plantes fraîchement cueillies dans le jardin, rarement à partir de matières végétales sèches.
    • sont préparés et administrées par les femmes de la famille ou du voisinage
    • sont connus et partagés par un grand nombre de personnes
    • sont spécifiques à chaque étape de la vie : naissance, allaitement, adolescence…
    • sont considérés comme essentiels pour maintenir un bon équilibre de l’organisme : nettoyer le sang, nettoyer l’appareil digestif (purges), fortifier l’organisme, bien grandir.

    Exemple de médication donnée dès l’enfance à Maré

    Ci-dessous, les noms scientifiques sont indiqués en italique, puis suivent entre parenthèse les noms communs et noms vernaculaires en Nengone (italique également)

    • Le premier médicament donné au bébé est le fruit vert de Morinda citrifolia (Noni, Ikete)
    • La maman donne durant les premières semaines le jus de la feuille grasse de Hoya pottsii (Waikur(i))
    • Tout au long de sa vie, il est donné plusieurs fois à l’enfant différentes préparations. Certaines sont simples telles qu’une infusion ou un bain de feuilles jaunies de Melochia odorata (Tilleul rose, Thebo).
    Plantes-médicaments utilisées à Maré pour les bébé et enfants © IRD
    Plantes-médicaments utilisées à Maré pour les bébé et enfants © IRD
    • D'autres fortifiants sont complexes. Par exemple, l'Aeneshaba (Nengone) préparé par les vieilles à Maré est une macération de feuilles et de jeunes pousses qui mélange une trentaine de plantes, parmi lesquelles :
      • Cordyline fruticosa (Cordyline, Ote)
      • Polyscias bracteata (Beku)
      • Acalypha sp (Amakal)
      • Glochidion billardieri (Hmerruwiw)
      • Scaevola sericea (Medekurua)
      • Cassytha filiformis (Goo)
      • Hibiscus tiliaceus (Bourao, Eru)
      • Arocarpus incisa (Guaon)
      • Ficus microcarpa (Banian, Ficus, Tha)
      • Rapanea sp. (Epod)
      • Psidium guajava (Kuava)
      • Olea paniculata (Pengo)
      • Piitosoprum obovatum (Hnuhnu)
      • Morinda myrtifolia (Wabo dridr)
      • Acronychia laevis (Bolé, Bole)
      • Santalum austocaledonicum (Santal, Wekesi)
      • Nothocnide repanda (Anumi xexe)
      • Phyla nodiflora (Ituluo)

    La grande médecine traditionnelle

    La "grande médecine kanak" s'inscrit dans un système cosmogonique, de compréhension du monde et de l'univers, très différent des sociétés occidentales. Elle est un rempart contre les puissances maléfiques à différents moments :

    • lors des périodes incertaines et sensibles : la grossesse et l'adolescence (nommés maladies chez les kanak)
    • lorsqu'une personne a enfreint les lois sociales, volontairement ou non et que son attitude est sanctionnée par des événements malheureux successifs.

    Elle soigne sur trois fronts :

    • le physique, le corps
    • le psychologique, l'esprit
    • le social, les conflits relationnels

     

    La nature, le corps et l'esprit

    Dans la culture kanak, l'homme fait partie intégrante de la nature. Il établit des relations d'étroite interdépendance avec tout ce qui l'entoure (être vivants et non-vivants). La nature prend soin des êtres humains, inversement, ces derniers ont la responsabilité d'en prendre soin.

    La médecine traditionnelle repose en grande partie sur le pouvoir des plantes. D'ailleurs, dans les langues kanak, le vocabulaire qui désigne l’anatomie du corps humain est voisin, voire similaire, au vocabulaire qui désigne l’anatomie des plantes.

    Par exemple, sont désignés par des mots proches :

    • le sang et la sève : ladra et lan (Nengone)
    • la peau et l’écorce : nenun (Nengone)
    • le squelette et le cœur du bois de l’arbre : dun (Nengone)
    • le pancréas et les feuilles jaunies : guatekokoc (Nengone)

    Outre son corps, une personne possède aussi un esprit qui se déplace dans le monde spirituel. Le corps et l’esprit peuvent se séparer après la mort, ou à l'aide de certaines pratiques magiques.

    Le monde spirituel est peuplé d’esprits ancestraux (l'esprit des vieux) et d’êtres surnaturels (sortes de divinités) qui ont diverses formes : un être humain (c’est le cas de lutins), un animal (la tortue totem d’un clan par exemple), un rocher, un lieu, un événement météorologique.

    Ces esprits sont toujours la propriété d’un clan, à qui ils apportent une protection. Certains êtres surnaturels sont farceurs, d’autres sont gentils, d’autres sont maléfiques et punissent ceux qui enfreignent l’interdit.                                                                                                                                                                                                                                                         

    Rupture d'équilibre

    De manière générale, la maladie reflète la rupture d'un équilibre. Elle peut être liée à un ensorcellement par un tiers, un conflit, la violation d'un tabou , le non respect d'une hiérarchie sociale.

    Pour un kanak, une maladie est donc plutôt l'oeuvre de forces maléfiques ou celle d'une colère divine.

    Même si la cause d’un mal est rapidement identifié, comme une blessure par accident, les causes "réelles" sont recherchées et soignées en parallèle, à l'échelle de l'individu et/ou de la communauté : quel est le conflit sous-jacent ? quelle interdit a été bafoué ? Quel esprit ou quelle famille vous a jeté un sort ?

    La médecine traditionnelle soigne sur trois fronts :

    • le physique, le corps
    • le psychologique, l'esprit
    • le social, les conflits relationnels

    Les tradithérapeutes

    Les guérisseurs et voyants traditionnels ou tradithérapeutes sont capables d'identifier l'origine réelle d'un problème et interviennent dans le règlement des conflits. Leurs savoirs sont généralement transmis de génération en génération au sein du clan. Ils sont connus et réputés lorsque leurs remèdes sont efficaces. Les tradithérapeutes ont des spécialités :

    • certains fabriquent les médicaments
    • d'autres jètent un sort
    • d'autres intéragissent avec les esprits
    • certains sont capables de soigner des fractures ou l'extraire un bout d'os ou de corail dans le corps

    Les guérisseurs utilisent leur don de voyance ou leur aptitude à communiquer avec les esprits ancestraux ou les dieux.

    La phytothérapie s'accompagne de rituels et de prières.

    Le traitement par la magie est pratiquée à l’aide de petits paquets ficelés, les waceng, contenant des plantes spéciales, une pierre, des phanères (poils, cheveux, cils, ongles) ou un os.

    La magie destinée à faire la guerre, tuer ou être néfaste à d’autres personnes, appelé kaze, équivaut dans d’autres cultures à la magie noire, la sorcellerie ou le « boucan ».  

    Référent / Contact

    Édouard Hnawia
    Ethnopharmacologue
    Institut de recherche pour le développement
    Mis à jour le 03/07/2024
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